10.2.07

Lire la politique moderne grâce au passé


L'ancien premier ministre Raymond Barre vient de sortir chez Fayard un livre d'entretiens avec Jean Bothorel intitulé "L'expérience du pouvoir". Grande nouvelle, me direz-vous peut-être en ricanant. Erreur. Barre a probablement été l'un des plus grands hommes politiques que la France ait connu au vingtième siècle, parce qu'il a été exclusivement homme d'Etat et aucunement politicien.

Cette différence entre l"homme civil et l'homme politique qui touche à la schizophrénie, il l'explique brièvement dans une interview accordée à Christine Kerdellant de l'Express dans laquelle il décrit sans aménité mais sans rancoeur les trois principaux politiciens qu'il a connus : Giscard, Mitterrand et Chirac.

Cet entretien donne des clefs pour comprendre la personnalité des politiciens en général, et de Nicolas Sarkozy en particulier dans ce qu'il a de commun avec Jacque Chirac.

Extraits:

J'ai toujours été frappé, moi qui ai longuement observé ce milieu sans jamais être membre d'un parti, de l'écart qui existe systématiquement entre l' «homme polititique» et l' «homme civil». Cet écart est particulièrement important chez Jacques Chirac. Dans le privé, il a ce côté généreux, dévoué, désireux de rendre service, qui le rend profondément sympathique aux yeux des Français. Sympathique, c'est d'ailleurs le mot que j'ai entendu le plus souvent à son propos. Cet homme-là, je l'apprécie. Mais l'être humain doit opérer une mutation pour devenir un professionnel de la politique.

Et «l'autre» Chirac, donc?

C'est une bête politique. Je ne lui reconnais pas la moindre conviction, sauf l'obsession du pouvoir. Cela est un fait, et non un jugement de valeur : il adapte en permanence ses convictions aux situations. Il a trahi Chaban pour Giscard, il a fondé le RPR pour se débarrasser des barons du gaullisme et tuer Giscard. Il a accepté de cohabiter avec Mitterrand pour prendre Matignon et pouvoir gagner l'Elysée. Aujourd'hui encore, je ne suis pas sûr qu'il ait renoncé à se présenter. Si les circonstances lui semblent favorables, il peut décider d'y aller... Il est encore capable de surprendre!

Sur Giscard :

Giscard, c'était Narcisse homme d'Etat. Là encore, l'homme «civil» a joué des tours à l'homme politique. Lorsqu'il s'agissait de traiter les affaires de la France, c'était vraiment un personnage de premier plan, et je suis convaincu que l'Histoire reconnaîtra que son septennat a été le plus fructueux de la Ve République. Il était d'une intelligence exceptionnelle, et c'était un félin, il l'a bien montré. Mais, quand il s'agissait de lui-même, il était trop attentif à son image ou aux sentiments qu'on avait pour lui.

Sur Miterrand :

Mitterrand avait gardé, paraît-il, un mauvais souvenir de notre face-à-face télévisé de 1977. De mon côté, je le considérais comme un aventurier - je dis dans mon livre: une sorte de Lawrence d'Arabie. Comment aurait-il pu, sinon, se sortir de toutes les situations difficiles qui avaient jalonné son parcours?

J'ai toujours été admiratif de l'intelligence lumineuse de Raymond Barre, à la fois intellectuel (il fut un théoricien de l'économie fort apprécié) et homme d'action, comme a pu l'être Michel Rocard à gauche. Il était surtout dépourvu de cette obssession de l'ambition et du pouvoir que l'on retrouve chez François Hollande, Nicolas Sarkozy, et bien d'autres politiques. Mais ces deux êtres manquaient furieusement de sens politique. Dommage pour la France, qui a besoin d'être séduite par ses leaders.

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