19.5.07

Difficiles questions protocolaires

Alain Juppé vient d'être nommé ministre. D'Etat. Cette appelation est avant tout protocolaire et signifie qu'il vient en second après le premier ministre.

Et puis, ça fait tout de même plus joli, avec un petit côté Louis XIV. On imagine le journaliste : "Monsieur le ministre d'Etat, que pensez-vous de telle situation? ". Il n'y a pas à dire, ça fait sérieux.

Mais une question se pose : le protocole prévoit que les anciens premiers ministres passent avant les ministres d'Etat. Or, Alain Juppé est ancien premier ministre. Alain passe-t-il avant Juppé, ou vice-versa ?

Situation amusante. D'autant que Juppé a été Premier Ministre, et avait pour ministre des Technologies de l'information et de la Poste, un certain François Fillon, aujourd'hui premier ministre tandis que lui-même n'est plus que ministre. Ah, oui, d'Etat, tout de même. Néanmoins, on suppose qu'il faut une certaine dose d'humilité pour accepter de travailler pour un ancien subalterne.

D'expérience, c'est une situation difficile à vivre, et qui suppose que l'ancien supérieur soit vraiment un être humain capable de s'affranchir des apparences. Juppé a déjà accepté ce poste, c'est donc qu'il s'y sent prêt.

17.5.07

Que vaut François Fillon ?


Le premier premier ministre de Nicolas Sarkozy n'est pas fabuleusement connu. Il a l'air un peu fatigué et donne l'impression de travailler beaucoup.
Sur son blog, on apprend qu'il aime la course automobile : en juillet 2006, il s'est classé 5ème au "Mans Classic" sur Alpine A220, parcourant 33 tours du circuit mythique. Il cite Jaurès, cela devient une habitude.
Mais François Hollande ne l'aime guère, qui déclare "François Fillon est tout sauf un homme neuf. Il a déjà exercé de multiples responsabilités ministérielles depuis 1993" et "à chaque fois, sa gestion a été émaillée de nombreux conflits et de retraits douloureux, notamment la réforme du bac sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin".
Qu'en est-il ?
En 1981, à 27 ans, il est élu député de la Sarthe. Réélu constamment jusqu'en 2005, date à laquelle il est devenu Sénateur, après avoir été ministre dans les gouvernements de Balladur, de Raffarin, de Juppé.
D'après ce qu'on peut lire ici et là, il est réputé pour son goût du consensus : il aime bien réunir les partenaires sociaux, comme Ségolène, pour discuter avec eux. Mais lorsqu'il faut trancher, il tranche. D'ailleurs, il ne mâche pas toujours ses mots, comme en témoigne ce vif échange en octobre 2003 au Sénat :

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que cet accord est historique (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.) C'est d'abord un accord qui montre que le dialogue social est une réalité dans notre pays depuis que Jean-Pierre Raffarin dirige le Gouvernement. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

Les ricanements sur les travées de gauche sont particulièrement malvenus quand on fait le bilan des accords qui ont été signés pendant les cinq dernières années ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

On nous promettait une rentrée sociale brûlante. A la place, nous avons un accord historique sur la formation professionnelle, des négociations sur les restructurations...

M. Roland Muzeau. Vous avez oublié le mois de juin !

M. François Fillon, ministre. ... et une discussion qui s'ouvre sur les conditions de modernisation de la démocratie sociale, sujet qui n'a pas été abordé dans notre pays depuis les années soixante !

M. Jacques Mahéas. Et la presse qui ne paraît pas aujourd'hui.

M. François Fillon, ministre. L'accord qui vient d'être signé permet de poser les bases d'un véritable droit individuel à la formation professionnelle.

M. René-Pierre Signé. Il ne crée pas d'emplois !

M. François Fillon, ministre. Vous, vous ne perdez vraiment jamais une occasion de vous taire ! (M. Claude Estier proteste.)

Que peut-on en conclure ? A vrai dire, pas grand-chose.

15.5.07

Droite et gauche, pas le même combat ?



Continuant ma discussion avec ce camarade très au fait des choses politiques et autoproclamé "de gauche", j'en viens à apprécier son argumentation. Si, si. Comme le disait un de mes amis, "ce qui est bien avec toi, c'est que tu n'hésites pas à changer d'avis quand on te présente des arguments valides". Même si je ne suis pas certain que ce soit véritablement un compliment...

Mon camarade, donc, m'indique que le concept de différenciation gauche / droite n'est pas un principe idéologique destiné à cloisonner la vie politique, mais un simple classification.

Il ajoute, et c'est là que sa pensée me paraît intéressante, que "historiquement, les oppositions sur le rôle de l'état ou la liberté des marchés ne sont pas des marqueurs droite / gauche", c'est à dire que ce ne sont pas l'interventionnisme d'un gouvernement ou sa pratique du libéralisme qui permettent de le placer d'un côté ou de l'autre. L'argument sous-jacent - et développé ailleurs dans un échange que je ne citerai pas ici- étant que l'économie de marché est une réalité, mais que le néo-libéralisme sans barrières conduit à un creusement des inégalités. On en conclut qu'il faut une économie de marché, qui soit régulée par l'Etat pour éviter les débordements inévitables dûs à la nature humaine.

Bref. Qu'est-ce qui fait la différence entre la gauche et la droite, alors ?

Mon interlocuteur répond que la différenciation droite / gauche est historiquement liée à l'axe conservateur / progressiste et date du 18ème siècle. Elle se fonde selon lui sur la notion de progrès social, qui est certes imprécise mais fonctionne tout de même assez bien.

Toujours selon lui, le progrés social au 18 ème siècle, c'était la lutte contre les privilèges. Au 19 ème c'était la lutte contre le capitalisme de rente et les inégalités de droit. Au 20è siècle c'était la lutte pour les droits sociaux (retraite, sécu...) et l'égalité des chances. "non que ça ait forcément réussi" ajoute-t-il, lucide. Et de terminer en indiquant "le progrès social au 21è siècle, qu'est-ce que c'est ? A nous de l'inventer."

J'avoue que je ne peux qu'être d'accord. Tout cela me paraît fort bien. Je ne peux d'ailleurs qu'être pour le progrès social.

Ni droite, ni gauche. Nous sommes finalement tous des démocrates sociaux, sans le savoir.

11.5.07

Pensées uniques


Discussion autour du thème droite/gauche avec un camarade qui se définit comme "de gauche".

Moi qui ne me sens d'aucun bord, qui croit à l'économie de marché avec un certaine dose de régulation pour éviter les dérapages, qui recherche le progrès social pas seulement pour les Français, mais pour l'humanité entière, je vois soudain pointer sur moi un index accusateur. On me dit que je suis de droite, que je suis un néo-libéral.

Une bête ignoble.

J'avoue que je suis ennuyé.

Mais mon contradicteur ne s'arrête pas là. Lorsque je lui demande ce que cela signifie, être de gauche, il répond que tous les progrès sociaux, de toutes les époques, ont été des combats de gauche. De la lutte contre l'esclavage au droit de vote des femmes en passant par l'abolition de la peine de mort, tout cela reste l'apanage de la gauche.

Il me semble pourtant que les artisans de l'abolition de l'esclavage étaient avant tout marquis, chevaliers ou prêtres, c'est à dire plutôt des nantis que des ouvriers, plutôt des riches que des défavorisés. Bien sûr, les esclaves eux-même étaient contre l'esclavage, mais ce sont bien des bourgeois, osons le mot, qui ont su se mobiliser pour abolir l'infâmie. Etaient-ils de gauche ? Peut-on être de gauche et porter le titre de marquis ?

Je sais bien, par exemple, qu'il n'est pas nécessaire d'être pauvre et opprimé pour être de gauche. On se souvient de Jean-Baptiste Doumenc, surnommé le milliardaire rouge parce qu'il était communiste et riche, on a glosé durant la campagne sur la fortune personnelle du couple Hollande-Royal. Que l'internationale socialiste, j'en ai parlé ici, considère comme des bourgeois. Et jusqu'à mon contradicteur de gauche, largement plus fortuné que moi.

Mais parce qu'on croit que les mécanismes naturels du marché, encadrés par un état attentif pour éviter les dérapages, sont les seuls à pouvoir fonctionner, parce qu'on pense que le libéralisme bien compris est la seule voie possible d'évolution économique, est-ce que cela fait de vous un néolibéral de droite ? De surcroît, incapable de se mobiliser pour le progrès social, pour les combats cités plus haut ?

Il semble que oui. J'ai donc appris ce jour que j'étais un ignoble capitaliste incapable de m'émouvoir et d'agir pour les autres. Une bien triste journée.

Sauf que ces combats sont les miens autant que celui de la gauche. Je lutte contre le racisme, contre le machisme, contre les abus de pouvoir, mais je ne suis pas de gauche. Je crois en l'économie de marché, mais je ne suis pas nationaliste, capitaliste, et j'ai souvent agi concrètement pour l'opprimé ou les bas salaires. Ce qui m'a valu, dans une entreprise, d'être licencié : je privilégiais trop les travailleurs.

Bref, je ne sais toujours pas ce que cela veut dire, être de gauche. Et pour tout dire, cette distinction entre droite et gauche me paraît impalpable. Je ne vois, autour de moi, quasiment que des bourgeois plus ou moins petits, préoccupés par leur nombril et leur satisfaction matérielle. Lorsqu'ils l'assument, et c'est bien, ils se disent de droite. Lorsqu'ils ne l'assument pas, et je le regrette, ils se disent de gauche.

C'est avant tout une question de confort intellectuel.

9.5.07

Gauche ou droite ?

Un ami concerné par la chose politique m'envoie un mail qui se termine par ces mots :
"
C'est un juste combat de gauche que de vouloir assurer la sécurité matérielle de l'ensemble de l'humanité dans la perspective d'un développement durable. C'est également un juste combat de gauche que d'affirmer qu'une fois la sécurité matérielle assurée, le bonheur de l'homme se situe avant tout dans la richesse de ses échanges sociaux."

Cette phrase m'a fait sursauter (c'est tout de même plus élégant que de bondir). Et attire les commentaires ci-dessous.

Je ne vois pas l'utilité de rajouter "de gauche". Je pense pour ma part que c'est un juste combat pour l'homme tout simplement que de vouloir assurer la sécurité matérielle de l'ensemble de l'humanité dans la perspective d'un développement durable, je pense aussi que c'est un juste combat pour l'homme que d'affirmer qu'une fois la sécurité matérielle assurée, le bonheur de l'homme se situe avant tout dans la richesse de ses échanges sociaux.

Pour être tout à fait sincère, la notion "de droite", aisément assimilée soit à "grand capitalisme prédateur" soit à "conservateur réactionnaire et nationaliste" et la notion de gauche assimilée à "socialiste humaniste" voire à "fainéant assisté" me paraissent toutes deux sans objet, mais elles ont pour conséquence regrettable d'établir des cloisons artificielles entre les hommes.

Je pense qu'il existe une alternative à cette pensée dichotomique ( dont la psychologie nous dit qu'elle consiste à percevoir les situations à partir de catégories mutuellement exclusives sans aucune nuance entre les deux) et que cette alternative consiste, précisément, à évaluer les différentes zones de gris qui existent entre le blanc et le noir, pour se tracer une ligne de conduite mesurée et nuancée.

Les combats cités, que je partage, ne sont pas selon moi l'apanage de la gauche. Le libéralisme n'est pas l'apanage de la droite. D'ailleurs, les radicaux et les socialistes ont longtemps été libéraux. Lisez donc cet article daté de 2002 sur http://www.istravail.com/article89.html , qui donne une lecture ou un rafraîchissement utile. Je vous en livre ci-dessous un extrait, mais à mon humble avis l'ensemble vaut le détour :

"Vérité au delà de 1936, erreur en deçà : jusqu’en 1936, la gauche a été libérale, elle l’a été en matière politique et elle l’a été en matière économique. Les radicaux ont bataillé farouchement pour empêcher les socialistes d’introduire la nationalisation dans le programme du Front populaire et il est vraisemblable que, même sans l’aide des communistes, ils y seraient également parvenus, car ils en faisaient une condition sine qua non du contrat électoral qu’on les invitait de conclure avec la SFIO et le PCF.

Toute la politique sociale de la Troisième République, depuis la loi syndicale de 1884 jusqu’à celles des assurances sociales en 1928-1930, des allocations familiales en 1932 a été l’œuvre de gouvernements et de majorités se réclamant de l’économie libérale, ceux qui ont mis le point final aux lois sur les assurances nationales, étant d’ailleurs des libéraux de droite puisqu’ils avaient pour nom Raymond Poincaré et André Tardieu, Pierre Laval aussi, même si son nom n’est pas aussi démonstratif, puisqu’il avait fait ses premières classes politiques dans le syndicalisme révolutionnaire et qu’il avait même été un temps l’avocat de la CGT. "


Je ne me sens donc pas de gauche, mais je suis concerné par le sort des autres, et pas exclusivement à l'intérieur de nos frontières, raison pour laquelle je me suis heurté la semaine dernière à mon beau-frère "de gauche" qui estimait que les délocalisations sont un scandale et qu'il faudrait réinstaurer le protectionnisme. C'est pour moi une pensée réactionnaire et conservatrice, qui montre surtout une grande méconnaissance des mécanismes économiques mondiaux.

Le même beau-frère en parlant des "patrons" y allait largement en les mettant tous dans un même sac, celui d'EADS qui a touché des millions d'euros en golden parachute, en tête, devant les patrons de PME, tous des ordures de capitalistes bien entendu. Tiens, un chiffre pour la route : saviez-vous que chez Renault, les voitures, 62 % des salariés sont situés à l'étranger ? C'est scandaleux, sauf que l'ancienne régie réalise aussi 66% de son chiffre d'affaires à l'international. Bien sûr, les même généralisations hâtives se retrouvent "à droite" avec tous les assistés et les fainéants qui ne veulent pas travailler. Tout ça, maintenant que j'y pense, c'est la faute à l'euro.

Mais je ne me sens pas de droite non plus. La poursuite du profit, l'enrichissement ad nauseam ne m'inspirent pas grand-chose, si ce n'est de rejoindre Marx et l'internationale socialiste qui les décrivent comme des "idéaux petit-bourgeois". Que de petit-bourgeois autour de nous, et même en nous !

27.4.07

Et le second tour ?

Les jeux étant faits pour le premier tour, tous les électeurs se projettent sur la suite, et chacun de comparer les programmes et les discours de deux candidats restant en lice.

Parmi ceux qui ont voté pour François Bayrou, une grande partie retourneront à leur famille politique : les centre gauche, à gauche, les centre droit côté Sarkozy.

Un assez grand nombre pourrait voter blanc, dans la continuité de leur premier vote, déclarant ainsi qu'aucun des deux candidats en lice ne leur convient.

Cela pourrait bien être une erreur. Le vote blanc n'étant comptabilisé que dans un but informatif, et non considéré comme un suffrage exprimé, cela revient à ne pas voter, c'est-à-dire à laisser le choix aux autres électeurs.

Ce serait tout de même dommage.

C'est pourquoi je voterai pour un des deux candidats présents au second tour. Si j'ai voté Bayrou, c'est parce que sa manière de faire de la politique un bien commun m'a paru plus convaincante que celle des autres candidats. Certains partisans de Bayrou sont séduits par le personnage, par son programme. J'ai pour ma part été plus séduit par sa manière de concevoir la politique, à contre-courant de ce clivage gauche-droite aussi perpétuel que néfaste.

Combien de militants de gauche ai-je rencontré, qui ont des préoccupations dite "de droite" sans le savoir, même au chômage, même smicards ? Des quantités.

Combien de partisans de droite ai-je rencontrés, qui manifestent de l'empathie et de la compassion pour les autres, et qui n'hésitent pas à agir pour les autres ? Des quantités.

Les révolutionnaires troskystes, les grands patrons aux parachute doré, j'en ai rencontré aussi, mais fort peu. Aucune statistique précise, mais ils me paraissent une infime minorité.

Dans leur majorité, les citoyens de ce pays font passer avant tout leur intérêt personnel - c'est une attitude de droite- mais ne négligent pas pour autant l'intérêt général - c'est une attitude de gauche.

En dehors d'une minorité, il n'y a donc pas de grands blocs antagonistes comme certains voudraient le faire croire. Parmi mes voisin, mes amis, il y a des électeurs de tous bords, employés, professions libérales, ouvriers, entrepreneurs : tous se ressemblent diablement.

Pour le second tour, ceux qui ont voté Bayrou au premier tour choisiront donc le candidat qu'ils préfèrent, ou celui qui leur paraît le moins mauvais.

Mais ce qui compte le plus, c'est la suite. L'annonce de la création d'un nouveau parti démocrate est une très bonne nouvelle, car l'UDF possède un héritage de droite, c'est indéniable. Or ce qui est utile pour nous tous c'est une envie commune d'avancer, un travail d'équipe, un rassemblement des idées fussent-elles divergentes, et des énergies convergentes, pour aider ce pays à avancer, et participer à travers lui à l'évolution du monde. Une envie commune d'avancer, ensemble, en dehors de toute connotation gauche-droite. Une envie que ce Parti Démocrate peut concrétiser, si les électeurs le veulent.

C'est pourquoi les législatives sont bien plus importantes que le second tour. Si les électeurs s'en mêlent, ces prochaines élections permettront peut-être de créer au sein de l'Assemblée Nationale, un contre-pouvoir véritable, préoccupé par les idées et non par les partis. Un contre-pouvoir qui votera pour les bons projets et contre les mauvais, de quelque bord qu'ils viennent. Un contre-pouvoir qui sera l'expression de cette volonté commune d'avancer, ensemble.

Bon vote !

12.3.07

Les bonnes idées du père François

"The economist", le très réputé hebdomadaire anglais à diffusion internationale, s'est penché sur le cas Bayrou à plusieurs reprises ces derniers temps. Voici l'interview que cet excellent journal a publiée voici quinze jours, et qui a le mérite de poser quelques questions très directes hors de la sphère franco-française à François Bayrou. Le texte est émaillé de petites erreurs de trancription, mais il reste parfaitement compréhensible.

François Bayrou: La France, c'est un projet de société. Si vous regardez la devise de la France: liberté, égalité, fraternité, cette devise diffère de toutes les autres devises de tous les autres pays de la planète. Les devises normales, c'est toujours, le Pays: "E Pluribus unum", ou bien Dieu: "In God We Trust". Tous les pays du monde sont autour de ce schéma, pas la France. La France, elle propose - liberté, égalité, fraternité - un projet de société, fondé sur trois valeurs morales: un vocation universel. Et si on comprend pas que ceci est la carte d'identité de la France, que cette recherche d'un projet de société c‚est le point commun des Français, on comprend pas notre histoire.

Alors, qu'est-ce que ca veut dire? Au fond les Français, et je pense comme eux, ont l'impression qu'il y a deux modèles de société dans le monde occidentale, je ne parle pas du monde orientale. Le modèle fondé sur la loi du plus fort (et la loi du plus fort c'est aujourd'hui evidemment la loi de l'argent) et le modèle de société qui revendique d'être fondé sur la loi du plus juste. C‚est pourquoi, en France, vous n'avez pas, pour prendre un exemple, des universités payantes concurrentielles.

[Q Ce qui serait très choquant?]

A: Les universités payantes? Vous rendez compte du prix des universités américaines, je ne sais pas exactement quels sont les prix, combien pour les plus grandes universités - 50,000 dollars? Ca n'existe pas, et c'est un projet qui ne serait pas accepté par la France, et par aucun president, d‚ailleurs.

[Q: Mais il y avait une étude de l'université de Jiaotong, à Shanghai, qui classait peu d'universités française sentre les meilleurs du monde? Et les universités américaines produisent pas mal de prix Nobels]

A: D‚abord, nous produisons autant de prix Nobels et de medailles Field que les autres, ensuite, sur les classements là, ce sont les critères qui sont en question. Mais, qu‚il y a une crise profonde de l‚éducation nationale, il n‚y a aucun doute. Nous reconstruirons l‚éducation nationale a partir du modèle français, et pas à partir du modèle américain. C‚est le modèle français que les Français demandent de reconstruire. Et ce qui est étonnant, c‚est que vous ne rendiez pas compte qu‚il y a cette recherche d‚un projet de société différent du projet de société américain. Je lisais une étude qui sortait hier, sur la creusement des inégalités aux Etats-Unis, le fossé entre les riches et les pauvres c‚est considérablement approfondi.

[Q: Et les émeutes dans les banlieues?]

A: C‚est parce que quelque chose marche mal, que ma candidature est entendue par les Français. Si ça allait bien, si les résultats obtenus ces dernières années étaient les résultats justes, tout le monde choisirait le candidat du gouvernement sortant. Sarkozy, c‚est le candidat du gouvernement en place. Les Français n‚en veulent pas, ils ne veulent non plus le retour du Parti Socialiste. Il faut que vous compreniez qu‚un autre élément de cette affaire, c‚est la position qui était celle du Président de la République Jacques Chirac pendant la guerre en Irak. C‚est le meme sujet. Cette position a été massivement soutenu par les Français, y compris par moi, qui suis pourtant a la tête d‚une mouvement dont la tradition est une tradition Atlantiste. Et aujourd‚hui, tous les Français se félicitent de la position qui était prise. A l‚époque, dans mon parti, il y eu des gens qui ont dit, tu devrais soutenir Bush, et je suis monté à la tribune de l‚Assemblée nationale pour soutenir Jacques Chirac. C‚est la même histoire, c‚est le même sujet. Parce que la loi du plus fort ne règle pas les problèmes du peuple.

[Q: et l‚Iran? Un Président Bayrou soutiendrait des actions militaires?]

A: Les démocraties doivent être solidaires, et en même temps, la force doit être l‚ultime recours. On ne doit pas se servir de la force de première intention.

[Q: Mais, la force doit rester une possibilité? Chirac vient de demander si c‚est vraiement si dangereux pour l‚Iran d‚avoir deux ou trois bombes nucleaires. Partagez-vous cet opinion?]

A: Ce n‚est pas exactement ce qui‚il a dit. J‚ai lu, y compris ce qui n‚etait pas publié par la presse anglo-saxonne* Il a dit, si j‚ai bien compris son citation, la menace nucléaire en Iran, elle n‚est pas tant militaire, qu‚un signal donné a la prolifération. C‚est ça qu‚il a dit. Et moi, en tout cas, je dis, l‚accession de l‚Iran a la bombe nucléaire, est inacceptable pour les démocraties, et donc le processus est un processus de sanctions croissantes - sur lesquelles pour l‚instant il n‚y a pas d‚accord, on arrive pas à trouver un accord sur le processus de sanctions croissantes. Et la ligne c‚est: vous avez droit à la nucléaire civile, vous n‚avez pas droit à la nucléaire militaire, c‚est ce que vous avez signé. Il y a, au sein de la société iranienne des mouvements qui sont des mouvements de réticences aux decisions les plus excessives de Ahmadinejad et son clan, et il est très important de s‚appuyer sur ces mouvements là.

[Q: Vous faites une diagnostique assez sevère des problèmes de la France, mais vous ne recommandez pas un traitement de choc.]

A: Ce que vous appelez traitement de choc, c‚est un modèle de société que la France ne veut pas. Le modèle de société qui se fonde sur l‚acceptation et le creusement des inégalités - au fond c‚est ça, hein? Où on considère que, au fond, l‚inégalité est créatrice, que l‚inégalité est un booster. Ce modèle-là, la France n‚en veut pas, et selon moi, une grande partie du monde n‚en veut pas. Nous, nous voulons un modèle - j‚ai utilisé le mot social-économie - qui est un modèle d‚économie performante dans une société juste, dans une société solidaire.

[Q: Vous dites que vous voulez encourager les entrepreneurs, mais vous critiquez le CPE.]

A: Excusez-moi, ce que j‚ai critiqué - c‚est en cela que vous ne voyez pas bien la société française - ce que j‚ai critiqué, c‚est qu‚on puisse renvoyer un jeune, ou d‚ailleurs un vieux c‚est pareil, sans explication. Alors, peut-être ca vous paraît bien, pour nous les Français c‚est extrêmement choquant. On considère que le contrat de travail, est un contrat équitable, "fair". Donc, quand on dit a quelqu‚un, on vous renvoie, on est obligé de dire pourquoi.

[Q: Et si la raison c‚est qu‚un jeune a une mauvaise attitude, ou les clients ne l‚aiment pas, ça suffirait?]

A: Non, il faut l‚explication. Il faut considérer que les jeunes salariés sont des personnes respectables. Vous savez que je propose pour les petites enterprises de créer deux emplois sans charges sociales?

[Q: Oui. Mais pour vous il y un lien entre flexibilité et chômage?]

A: Aujourd‚hui, tout le monde en France considère que flexi-sécurité c‚est la voie à suivre. Tous les syndicats le pensent, le patronat le pense, et si je suis élu Président de la République, je demanderai aux syndicats, et au patronat, de faire des propositions concrètes sur ce sujet. Il y a l‚exemple danois, il y a l‚exemple suedois, enfin les pays scandinaves qui ont progressé dans cette voie.

[Q: Sarkozy à Londres, a visité un centre de réinsertion pour les chômeurs britanniques. Est-ce que la Grande Bretagne a des leçons pour la France?]

A: Il y a des leçons à prendre absolument partout. Mais on ne recopiera pas en France le modèle britannique, pas plus qu‚on recopiera pas en Grande Bretagne le modèle français. Les pays ont leurs visions et leurs valeurs.

[Q: Est-ce que les Français comprennent bien que des grandes sociétés françaises ont des très grandes succès en ce qui concerne le commerce mondial?]

A: Il faut que vous compreniez ceci. Les Français comprennent très bien le monde de la compétion dans lequel on est entré. Ils savent très bien que cette compétition, ça serait désormais la loi. Mais, ils ne veulent pas abandonner leur projet de société pour autant. Et moi, je propose qu‚on regarde en face cette double nécessité: oui nous avons besoin de compétition, mais oui, nous voulons sauver notre modèle de société. Sauver, rénover, reconstruire, porter vers l‚avenir notre modèle de société.

Et je vous dis que c‚est un atout, la tradition, la force de la main-d‚oeuvre francaise que tout le monde signalle, quand Toyota vient s‚installer en France, ils disent que c‚est l‚usine la plus performante de tout le groupe dans le monde. Pourquoi? Parce que nous avons une main-d‚oeuvre très bien formée. Ce niveau de formation des Français, l‚adaptabilité des Français, c‚est le résultat du modèle de société que est le nôtre.

Et alors, oui, on n‚est pas les seuls, hein? Les problèmes de banlieue vous en avez, hein, et qui ne sont pas minces. Oui, on a des problèmes de banlieue très importants, parce qu‚on a laissé se faire une urbanisme qui est une urbanisme de rélégation, de ségrégation. Et donc on a besoin de rebatir des quartiers entiers, et pas seulement de rebatir du point de vue des batiments, mais de rebatir du point de vue de la mixité de la population.

[Q: Pour terminer avec la mondialisation, vous avez parlé du taux du change chinois.]

A: Il y a des gens qui disent que le yuan chinois est en effet sous-évalué très gravement, il ya des chiffres qui circulent.

[Q: Vous avez dit 400% dans un interview]

A: 400 %, oui.

[Q: Et un Président Bayrou ferait quoi?]

A: Je dis qu‚il faut que l‚Europe se pose cette question. Comme vous savez, les Etats-Unis se la posent. Ils ne peuvent pas articuler de réponse, parce que les réserves en devises américaines des banques centrales, notamment chinoise, sont au dessus de mille milliards de dollars, et donc vous voyez bien les difficultés dans lequelles les Etats-Unis sont pour aborder cette question de l‚échange. Ils l‚abordent, ils en parlent, mais on est très loin d‚une action efficace.

[Q: Mais croyez-vous que Pékin va changer le taux du change?]

A: Non, je ne pense pas qu‚il le change, mais je pense que nous pouvons le faire une question de nos relations avec eux.

[Q: Vous croyez que le yuan est sous-évalué par 400 %, mais ce n‚est pas imaginable que les Chinois vont quadrupler les prix des leurs exportations?]

A: Je ne dis pas qu‚ils les quadrupleront, je dis qu‚il faut que l‚Europe unisse ses efforts avec les Etats-Unis. Les Etats-Unis, chaque fois qu‚ils rencontrent les dirigeants chinois, ils parlent du change. Comme vous le savez. Il y a au Congrès des Etats-Unis une mouvement puissante pour poser la question du change, avec Pékin. Je dis qu‚il faut que l‚Europe prenne sa part de cet effort. J‚ai des espoirs que l‚action conjugée de l‚Europe et des Etats-Unis pourra peut-etre etre entendue.

[Q: Mais est-ce que ça va sauver des usines européennes?]

A: Si vous estimez qu‚il n y a rien a faire... Moi, je considère que les dirigeants politiques ont comme responsabilité de faire respecter l‚équité des changes. Et quand on repère les éléments qui sont inéquitables, on a le devoir de les désigner, et, si on peut, d‚y apporter une réponse. Au moins de poser cette question de manière forte et répétée. Ce que, je dois dire, font les Américains.

[Q: M. de Villepin a proposé des tarifs environmentales contre la Chine]

A: Je dis en tout cas que c‚est une question qui se pose. On a le droit, n‚est-ce pas? Nous imposons à tous nos producteurs des normes environmentales sévères, on a raison. Mais on peut aussi se poser la question des normes qui sont imposés a nos fournisseurs. N‚est ce pas? Ou alors, on fait du commerce inéquitable.

[Q: Vous voulez qu‚on se pose la question au niveau européen?]

A: Au niveau européen.

[Q: Y-inclus un projet de loi?]

A: En tout cas, on peut mettre cette question sur l‚agenda de l‚Europe.

[Q: Vous soutiendrez des tarifs?]

A: Que l‚Europe pose la question, on verra la reponse. Mais qu‚au moins, elle pose la question de l‚équite du change. Tout le monde admet a juste titre, ou tout le monde voit bien, que la compétition peut se faire en particulier sur le social, sur le cout du travail. Et on considere en effet que les pays ont le droit de travailler dur pour attraper un niveau de vie. Mais ils n‚ont pas le droit de manquer un certain nombre de normes du point de vue de la santé, du point de vue de l‚environnement, et monnaie. On n‚a pas le droit de jouer sur une sous-évaluation chronique de leur monnaie. Là, on doit poser cette question avec eux. Vous voyez que c‚est une grande différence entre poser la question et ne pas poser la question. Quelles sont les réponses? Ni vous ni moi ne les connaissons aujourd‚hui. Les Etats-Unis ont posé la question depuis des années, et les ont pas trouvés pour le moment. Mais c‚est très important de poser la question.

[Q: Mais soutiendrez-vous des tarifs européens?]

A: Soyez gentil. Je n‚ai pas apporté les réponses. Mais je veux qu‚on pose la question. Les réponses doivent être concertés entre pays européens. Mais vous allez voir que toutes les sociéées européennes vont poser ce genre de question.

[Q: Vous parlez de la solidarité en face à la mondialisation, mais les consommateurs achètent des baskets fabriqués en Chine, à Carrefour. Ils achètent pas les chaussures fabriquées en France.]

A: Oui, mais excusez moi, ceci c‚est de la consommation. Moi, j‚ai parlé de la solidarité de la société, j‚ai pas parlé de protectionnisme.

[Q: Et la différence?]

A: La solidarité, c‚est de l‚éducation, c‚est la lutte contre l‚exclusion, c‚est en cas de chômage, la possibilité de former, de proposer un autre emploi. Bref, le sentiment de tous les Français qu‚on les abandonne pas. Que ce n‚est pas une société de la précarité croissante. Qu‚on accepte pas, ou qu‚on lutte contre la précarité croissante.

[Q: M Sarkozy a dit que le mot protéger ne lui fait pas peur. Il a parlé des préférences nationales et européennes.]

A: C‚est une déclaration de protectionisme. Je n‚ai jamais été protectionniste en esprit. Mais, on peut être pour un commerce "fair", un commerce loyal. Vous ne pouvez pas imposer a vos producteurs des règles que vous ne cherchez pas à faire respecter par vos fournisseurs.

[Q: Vous avez cité l‚Allemagne et l‚Italie comme exemples de gouvernements d‚union nationale. Un coalition, c‚est un atout?]

A: Il y a un atout majeure: c‚est que la France va devoir faire des réformes, et si vous n‚avez pas un gouvernement pluraliste, les citoyens considèrent que les réformes sont faites pour les raisons idéologiques. Exemple: vous avez l‚Allemagne devant vous. Le schéma Italien n‚est pas la même. Le schéma Italien est de coalitions entre des centres et des extrèmes, et c‚est un schéma instable. Le centre-droit est obligé de s‚allier avec des neo-fascistes, et le centre-gauche est obligé de s‚allier avec les radicaux. Et vous voyez que c‚est un schéma instable. Moi, je preconise une alliance stable. Alliance stable, c‚est l‚alliance des réformistes, je dis des républicains, pour faire des réformes. Et en Allemagne, en tout cas, les résultats sont là. Pour montrer que la société accepte des réformes, parce que, il lui est garanti que ces réformes ont l‚accord des grandes sensibilités démocratiques du pays.

[Q: C‚est une question de ne pas effrayer les Français?]

A: Ce n‚est pas du tout effrayer, ce n‚est pas du tout la question d‚effrayer. Les Français, ce sont un peuple qui n‚a pas peur, qui ont moins peur qu‚on le croit. En tout cas le jour où il aura un leadership qui lui permet de regarder les choses en face. Mais c‚est un peuple qui veut être garanti. Dans l‚idée que les choses sont justes. Garanti. Par exemple, il faut une réforme des retraites. Mais il veut pas accepter une réforme qui soit abusive. Il veut une réforme des retraites - vous savez que j‚ai dit que je la trancherai par référendum, de manière que les Français soient certains de la justesse, et de la justice, du choix qu‚on va leur proposer.

Les Français, ils ont une impression qu‚on leur faisait des promesses, et que chaque fois ces promesses étaient trahies. Il faut que vous souvenez que Jospin, en ‚97, c‚est pas vieux, c‚est il y 10 ans. Il s‚est fait élire, en disant qu‚il n‚accepterai le rôle sans un certain nombre de conditions. Et que, huit jours après son élection, il a - et heureusement à mes yeux - il a complètement abandonné ce schéma là. Et donc, les Français ont besoin.... Si c‚est un seul parti qui est au pouvoir, ce parti peut faire ce qu‚il veut. S‚ils ont besoin d‚avoir des accords bipartisans, qui leur garantissent que ce qu‚on leur a dit, on va le faire.

[Q: En 2002, pas mal entre ceux qui se méfiaient des grands partis ont voté Le Pen. Quelle différence en 2007?]

A: Parce que je suis là. Parce que je propose un autre chemin.

[Q: Est-ce que vous avez reçu le soutien des anciens électeurs de Le Pen?]

A: Les électeurs viennent de partout. De gauche, ils viennent de droite, ils viennent du centre.

[Q: Mais vous avez vu des études, je suppose]

A: Je ne crois pas beaucoup tout ça, ces études. Je pense qu‚il y avait dans l‚électorat français, une part très importante qui n‚y croyait plus, et ils se remettent à y croire. D‚où viennent-ils? De partout. Parce qu‚en realité ils cherchaient tous un changement qui leur permettent de montrer aux deux grands partis, grands entre guillemets, parce que ils sont pas très grands justement, aux deux "grands" partis que ils n‚avaient pas leur confiance.

Autour de Ségolène Royal, il y a ce qu‚on appelle les éléphants du Parti Socialiste. Le retour du vieux Socialisme avec Jospin et Fabius. C‚est ça l‚équipe de Ségolène Royal. Autour de Nicolas Sarkozy, il y a Raffarin et Juppé. Et vous voyez bien que les Français ne veulent pas de ça. Ils veulent d‚une démarche politique qui soit plus nouvelle et plus rénovatrice que ça. Il faut comprendre, la France n‚est pas un pays bipartisan - contrairement a ce qu‚on a voulu faire croire. La France ne veut pas d‚un pays qui n‚est que deux partis, avec deux états-majors qui gouvernent le pays. Je vous signalle qu‚aux Etats-Unis, où il y a deux partis, ce n‚est pas les états-majors qui gouvernent, parce qu‚il y a les primaires, ça change tout. Je n‚aime pas le système bipartisan, mais, au moins les primaires sont-elle là.

[Q: Souvent, en France, un troisième homme surgit, mais enfin ne gagne pas].

A: Il faut relire vos histories. En 1995, le troisième homme, c‚était Jacques Chirac. En 1974, le troisième homme, c‚est Giscard. Il se trouve que ça marche chaque fois, ou à peu près. Et donc, il vous va falloir vous habituer. Je suis desolé de troubler ainsi votre grille de lecture.