28.2.07

La route d'un homme seul


Nous en parlions dans le message précédent, la position de François Bayrou ne fait pas l'unanimité au sein de son parti. Le candidat à la présidentielle a manifestement choisi d'incarner une nouvelle donne politique, et cela constitue une rupture avec la ligne politique habituelle de l'UDF qui a toujours été, depuis sa création, un parti de droite modéré plutôt qu'un parti du centre. Certains députés en place actuellement avaient, par exemple, bénéficié d'un report des voix de l'UMP lors des dernières élections législatives. On peut concevoir qu'ils se sentent mal à l'aise avec la nouvelle position de Bayrou.

Parmi les défections enregistrées, on se souvient de celle de Gilles de Robien - dont l'action à la tête de l'Education Nationale paraît pourtant assez honorable- mais aussi de celles de Christian Blanc, ex pdg d'Air-France et d'André Santini, députés UDF goguenard et fumeur de cigares passé à la concurrence dont voici un extrait de l'annonce qu'il fit en passant à la concurrence UMP :

"Il est évident pour beaucoup que le Centre n’a jamais gagné sans la Droite et la Droite n’a jamais gagné sans le Centre. Parce que le socle électoral du Centre est à droite. Raymond BARRE, lui-même, rappelait dans le JDD dimanche dernier que « quand on appartient au Centre, il ne faut jamais rompre avec sa majorité. Si l’on refuse l’alliance, on prend le risque de l’isolement ». Nous sommes quelques uns à nous interroger sur l’avenir d’un Centre qui double la gauche par la gauche !
(...) Il y a bien sûr quelque chose de sympathique dans cette démarche ; il y a un courage évident à vouloir bouleverser les lignes, à s’efforcer de créer une dynamique nouvelle, contraire à la logique institutionnelle de la Ve République. C’est un dessein éminemment respectable que de vouloir « renverser la table » comme l’on dit. Et nous aurions tous tort de railler cette démarche, d’insulter les hommes qui la portent et qui, demain, nous rejoindront.
Simplement, elle me paraît vouée à l’échec parce qu’il n’y assurément pas une majorité de Français pour la soutenir et qu’il n’y a pas une majorité de responsables politiques qui y soient sensibles, prêts à y prendre part. Imaginons un seul instant qu’une telle démarche soit plébiscitée par les Français. Comment concrètement, la mettre en œuvre au gouvernement ? Avec qui ? Avec quelle Majorité à l’Assemblée nationale ? Cette démarche est intellectuellement satisfaisante. Elle est pratiquement inefficace."

La question que l'on peut se poser, c'est de savoir si Bayrou pense réellement ce qu'il dit - et corollairement de se demander si l'UDF peut survivre à cette transformation radicale- ou bien s'il ne s'agit que d'une posture électoraliste.

L'analyse des discours de Bayrou depuis deux ans montrent une certaine constance de pensée, et une montée en puissance dans la direction de "l'union des compétences". Sa sympathie envers Jacques Delors et Michel Rocard est connue de longue date, mais ce sont surtout ses dernières déclarations sur l'éventuelle nomination d'un premier ministre socialiste, s'il était élu, qui montrent le virage à gauche entrepris par le Béarnais.

Mais plus qu'un virage à gauche, il s'agit en réalité d'un véritable recentrage. Non pas "par la gauche de la gauche" comme le prétend Santini, mais au véritable centre. Il est normal dans ces conditions que les membres "ancienne formule" de l'UDF se sentent spoliés par ce qu'ils qualifient de hold-up, et quittent le nouveau navire centriste. Il est tout aussi logique que des citoyens de centre-gauche se sentent séduits par cette nouvelle proposition, eux qui ne se reconnaissent pas forcément dans la gauche profondément socialiste mais adaptée aux réalités du marché mondial que tente d'incarner une Ségolène Royal dans un grand écart inconfortable.

On peut donc raisonnablement imaginer que s'il ne parvient pas au second tour, François Bayrou ne donnera pas de consignes de vote en faveur Nicolas Sarkozy, qu'il critique autant que Ségolène Royal. Mais s'il ne parvient pas au second tour, c'est qu'il aura échoué dans son coup de poker politique. Le nouvel UDF de centre absolu auquel il a rêvé sera alors évaporé, de la même manière que sa propre carrière politique.
En revanche, s'il appelle à voter Sarkozy, il perdra toute crédibilité vis-a-vis des électeurs qui auraient une sensibilité à gauche. Pour la même raison, inversée, il ne peut pas appeler à voter Royal. Sa positiion est donc courageuse mais très risquée, car un échec à ces élections signifie pour lui une mort politique assurée.

La question que pose Santini est pleine de sens : un centre dépourvu d'alliances politiques peut-il gouverner ? Les anciens partenaires de droite seront-ils de nouveaux ennemis, ou préféreront-ils coopérer ? Nous le disions précédemment, c'est quasiment un choix de société: faut-il, en 2007, être résolument de gauche ou de droite, est-ce que cela a encore un sens ? Le postulat de Bayrou, c'est le même que celui de Giscard qui avait déclaré en 1974 "vous n'avez pas le monopole du coeur", c'est à dire un centre épris à la fois de réalisme économique et de jsutice sociale.

Il est vrai que c'est ce dont le pays aurait besoin. Pour caricaturer, les patrons et les ouvriers n'ont pas nécessairement vocation a être dressés les uns contre les autres. Mais en même temps; lorsqu'on est ouvrier, on aimerait bien être patron. Ou gagner plus en travaillant moins. Et quand on est patron, on aime bien que les ouvriers travaillent et se taisent, surtout si on les considère justement rémunérés. C'est humain. Cet antagonisme de classe, on voit mal comment il pourrait disparaître.

Qu'il est difficile de trouver l'équilibre dans une société humaine !

Finalement, ce que propose Bayrou, c'est tout simplement une révolution, parce que la France est depuis plusieurs siècles clivée en deux blocs politiques distincts et inaliénables. Mais en même temps, nombre de citoyens sont un peu des deux. Qui peut, en effet, prétendre que la Sécurité Sociale pour tous est une ineptie, qui peut dire que les pauvres doivent rester pauvres et que le spectacle de la misère a quelque chose de rassurant ? A part quelques fous, personne. D'un autre côté, nous avons tous envie de confort, de salaires convenables, de vacances symapthiques. Bref, nous sommes tous un peu de droite un peu de gauche.

Et si Bayrou, finalement, ne faisait que refléter la réalité du peuple français, qui n'est pas si coupé en deux que cela ? Et si ce clivage politique évoqué plus haut n'était qu'une illusion, entretenue par les hommes politiques afin de justifier leur gagne pain ? Car, qu'on y songe un instant : si tout le monde se mettait d'accord facilement, si les lois n'étaient pas discutées pendant des semaines entières, il suffirait d'un plus petit nombre d'hommes politiques pour faire tourner le pays. Les médiocres y perdraient beaucoup. On sait qu'ils sont légion.

Mais il me semble que je m'enflamme peut-être un peu. Tout cela n'est sans doute qu'illusion, comme l'a dit le brave Santini.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Un homme seul qui ressemble à un autre...je viens d'acheter Elysée République qui vient de sortir chez Casterman et qui met en scène le premier héros politique de BD dans un dessin réaliste type Largo Winch qui tranche carrément avec les autres BD politiques. Je trouve que le personnage central ressemble étrangement à François Bayrou...