27.2.07

Bayrou et la quatrième république


Nicolas Sarkozy l’a dit, le programme de François Bayrou aurait pour conséquence le retour à l’impuissance qu’a connu la quatrième république. La phrase exacte, citée par l’agence Reuters, indique que "ce que propose François Bayrou (...) on l'a parfaitement connu en France. C'est la IVe République. On met un peu de gauche et un peu de droite. Cela conduit à quoi : A l'impuissance".

Cette idée, je l’ai retrouvée ce week-end chez des amis plutôt conservateurs, qui ont connu la IVème république et se souviennent des errements auxquels elle avait conduit.

Qu’en est-il vraiment ? Une petite enquête était nécessaire pour déterminer ce que cette comparaison avait de judicieux. On verra que les conclusions sont différentes de celles du candidat de l'UMP.

La quatrième république a été constituée au sortir de la seconde guerre mondiale, en 1947. Elle dure jusqu’en 1959 et se caractérise par une grande instabilité politique : en douze ans, plus de vingt gouvernement se sont succédés. Les institutions politiques sont calquées sur celles de la IIIème république, mais un effort est fait pour donner plus d’autorité au président du conseil, le premier ministre d’alors. Pourtant, rien ne fonctionne comme prévu et l’assemblée nationale ne cesse de mettre des bâtons dans les roues du gouvernement : très vite, c’est le retour aux méthodes de la IIIème république, durant laquelle le Sénat avait réussi à renverser cinq gouvernements en refusant de voter leurs réformes.

Pourquoi une telle instabilité ? Parmi d'autres, Eric Ranguin, professeur d’histoire-géo, l’explique fort bien sur son site : « La Constitution soumet le pouvoir exécutif au pouvoir législatif. L’Assemblée nationale investit le chef du gouvernement. Dès le début, le Président du Conseil prend l’habitude de répartir les ministères entre les partis de gouvernement, à charge pour eux de désigner les ministres qui leur correspondent. (…) On a une multitude de partis politiques et aucun n’est suffisamment puissant pour détenir la majorité absolue à l’Assemblée. Il ne peut donc y avoir que des gouvernements de coalition. Or le soutien ou le refus de soutien à un gouvernement n’est pas décidé par le ministre participant au gouvernement mais par son parti. Ainsi, en 12 années de IVème République, 22 gouvernements se succèdent rendant le régime très instable. Cette instabilité repose sur l’hétérogénéité des partis politiques. Les majorités nécessaires pour former et faire durer un gouvernement sont toujours très difficiles à trouver et éphémères. Si une majorité se dégage sur un problème particulier, celle-ci peut changer si le problème varie à son tour. Si les problèmes s’accumulent, la "valse des ministères" n’en est que plus grande. »

L’auteur conclut que « Ce régime mal aimé, rappelant trop la IIIème République, a souffert de l’opposition irréductible des communistes, des gaullistes puis des poujadistes. Cette opposition puissante, combinée au morcellement des partis, a empêché la stabilisation de véritables majorités, soit à droite, soit à gauche qui permettent d’effectuer des choix efficaces, en particulier pour décoloniser. »

Précisons toutefois que l’époque de la IVème république a été particulièrement difficile : la guerre venait de finir, la guerre froide commençait et avec elle l’alliance atlantique, le parti communiste était une force politique d’importance, la décolonisation était un enjeu majeur qui aboutit à la guerre d’Algérie, tandis que les prémisses de l’Europe se mettaient en place. Une période délicate et troublée.

L’observateur attentif que vous êtes, ami lecteur, ne manque toutefois pas de voir que l’origine de l’échec de la IVème république réside dans les dissensions entre partis, que le mode de fonctionnement des institutions n’ont fait qu’amplifier.

Un tel schéma peut-il se reproduire ? Dans la solution préconisée par François Bayrou, le gouvernement serait constitué de personnalités de tous les bords. Il resterait soumis à l’autorité du chef du gouvernement, désigné par le président de la République. A priori, on peut penser que cela n’induirait pas d’instabilité gouvernementale, contrairement à la IVème république ou le gouvernement et le président de la république étaient élus par les députés.

Reste à savoir si la solution de Bayrou serait viable face à l’assemblée. Les députés, quel que soient leur bord, seraient-il prêts à voter pour une loi s'ils la considèrent comme la meilleure pour le pays ? Autrement dit, Bayrou peut-il gouverner s’il ne dispose pas de la majorité absolue à l’assemblée ? Et peut-il disposer de la majorité ? Ou même simplement bénéficier de l'adhésion des partis politiques en place ?

Il est vrai que contrairement à l’époque de la IVème république, les partis politiques ne sont plus les seuls moteurs de la démocratie, et que le paysage politique lui-même est modifié, puisqu’il n’y a pas la multitude de partis que l’on connaissait alors.

C’est donc toute la question de la structure politique du pays qui est ici en question. Si l'assemblée nationale accepte de voter des lois pour le bien du pays, en dehors de questions partisanes, l'idée de Bayrou peut fonctionner; et même très bien fonctionner. Mais si chacun persiste à vouloir défendre son point de vue particulier, voire partisan, au détriment de l'intérêt général, la solution Bayrou restera une pure utopie.

A moins que les élections législatives ne permettent au pays de donner à l'UDF une nouvelle envergure, en le transformant en premier parti politique du pays, composé d'hommes de gauche et de droite.

Une utopie ?




2 commentaires:

Anonyme a dit…

Il est dommage que vous n'ayez pas lu l'avant projet législatif de 2007 par l'UDF. On comprend que la réforme institutionnelle que le parti centriste propose n'est qu'une réformette sur trois axes (mais au fond historique depuis 1980) : la décentralisation, la parlementarisation (je vous rappele que la LOF a donné des pouvoirs insoupçonnés aux parlementaires concernant le budget)et la réforme du droit électoral (entreprit depuis la création des EPIC).
Sarkozy propose exactement l'inverse avec une tournure et interprétation plus "présidentielle" de la Constitution, un peu sur le modèle américain où le président gouverne (et oui !) par décret-loi tout en ayant une reponsabilité accrue devant les chambres.

Au fond, ni l'un, ni l'autre, n'avancent dans les eaux troubles d'une vraie réforme. Le système Bayrou pourrait très bien être supporté par le bloc constitutionnel actuel, il suffirait juste de changer les lois organiques des deux assemblées et l'article 24 de la Constitution. Pour Sarkozy, se sont les 3 titres en entier qu'il faut changer.
Moi qui rêve d'une démocratie fédérale et parlementaire, je trouve que Bayrou ne va pas bien loin (et je suis sympathisant UDF).

Blops a dit…

Vous avez entièrement raison : ce sont des réformettes. Ni Bayrou ni Sarkozy, ni d'ailleurs Ségolène Royal ne vont bien loin sur le sujet de la réforme des institutions, même lorsqu'ils la qualifient de VIème république. Arnaud Montebourg lui-même, jadis chantre de la question, se garde d'en dire trop désormais.

Cependant la question que je posais n'était pas vraiment dans la réforme institutionnelle, mais bien sur la capacité du système actuel à supporter une alliance des idées. La lecture des très nombreuses réactions sur les nombreux blogs politiques est édifiante : la plupart des commentateurs se demande quelle majorité apporter à un Bayrou président, non pas faute d'électeurs mais bien faute de candidats au centre. Une alliance au coup par coup paraît bien illusoire. Il y aurait alors nécessairement un clivage gauche droite au parlement. Pour quel résultat ?

Je ne suis pas certain qu'une modification de la loi organique des assemblées apporterait grand-chose, ni qu'une modification de l'article 24 serait nécessaire, sauf à modifier une large partie de la constitution, jusqu'à l'article 45 qui consacre - ce n'est qu'une opinion personnelle - l'inutilité du Sénat.

Quand à l'avant-projet législatif de l'UDF, que j'ai lu à sa sortie, je crois en novembre dernier, j'y ai trouvé bien peu de choses, à part la curieuse épée de Damoclès qui consiste à renforcer les pouvoirs présidentiels (en ne conférant plus au premier ministre qu'un rôle de coordination, qui me paraît illusoire) tout en donnant au parlement un moyen de contraindre le président à la démission.