13.2.07

Budget et propagande


La question de la dette publique agite commentateurs et hommes politiques. François Bayrou a fait du désendettement un axe prioritaire, Nicolas Sarkozy critique l’incurie budgétaire des cent propositions de Ségolène Royal tandis que celle-ci lui répond, par la voix d’Eric Besson(1) que "la somme provisoire des engagements de Nicolas Sarkozy fait apparaître un solde de dépenses nettes de plus de 77 milliards » et que « Les socialistes n'ont guère de leçons de gestion à recevoir d'une majorité qui aura à la fois accru le poids de la dette de 300 milliards d'euros(…) ».

Quelle est la réalité ?

Parlons d’abord de la composition de la dette publique elle-même. Elle se compose d’une dette dite « négociable », c’est-à-dire d’emprunts sur les marchés financiers, et d’une dette « non négociable » souscrite auprès des organismes de la nation (collectivités territoriales, établissements publics).

La dette négociable est composée d’emprunts à court terme (les BTF, d’une durée moyenne de 111 jours) qui servent à combler les trous budgétaires, d’emprunts à moyen terme (les BTAN, d’une durée moyenne de 1 an et 1 mois) et d’emprunts à long terme (les OAT, dont la durée peut aller jusqu’à 50 ans, mais avec une durée moyenne de 7 ans et 45 jours au 31/12/2006). En fonction de la structure de l’emprunt, les taux peuvent être fixes ou variables. Au 31 décembre 2006, l’encours de la dette négociable de l’Etat s’élevait à 876,6 milliards d’euros en valeur nominale. Selon l’agence France Trésor, qui gère la dette de l’état, les porteurs sont à près de 60% étrangers, une proportion en augmentation constante (54.3% en 2005) ce qui ne pose pas de problème particulier : cela signifie simplement que les investisseurs étrangers ont confiance dans la capacité de la France à rembourser sa dette.

De son côté, la dette non négociable s’élevait à fin 2005 à 42 milliards d’euros, environ vingt fois moins que la dette négociable.

Il ne faut pas confondre la dette publique avec la dette extérieure (qui est un indicateur économique reprenant les dettes publiques et privées envers l’étranger), ni avec la dette de l’Etat (qui se définit simplement comme l’ensemble des emprunts effectués par l’État)

Puisqu’il s’agit d’une grandeur financière, la dette publique est soumise aux contraintes des marchés financiers. Elle évolue donc en fonction des taux d’intérêt ( le récent emprunt sur 50 ans à 4% est de ce point de vue une bonne affaire, alors que les emprunts des années 90 étaient beaucoup plus chers), mais aussi en fonction de la santé économique du pays. En effet, si l’activité économique décline et que le chômage augmente, les recettes diminueront tandis que les dépenses augmenteront, ce qui creusera un trou dans le budget qui ne pourra être financé que par l’emprunt, donc par la dette.

Cela étant, un état ne fonctionne pas comme un particulier : il y a une notion de pérennité morale, ou de continuité de l’Etat qui fait que ce dernier peut-être endetté ad vitam sans inquiéter ses débiteurs. Et donc sans que cela ne perturbe trop son économie. C’est d’ailleurs pour cela qu’il est inexact de dire que « chaque Français doit 18 000 euros » : à quel moment ?

Plutôt qu’une valeur absolue, il faut donc considérer le rapport entre la dette et le produit intérieur brut, c'est-à-dire la richesse produite par la nation. C’est l’équivalent, pour un état, du ratio d’endettement que les banques calculent pour les ménages, bien qu’il faille se méfier de toute comparaison entre la dette de l’Etat et celle des particuliers. Pour la France, à fin 2005 ce ratio était de 66,8% , soit un peu moins que l’Allemagne (67,7%) et à peine plus que les USA (63,8%), mais beaucoup plus que l’Angleterre (42,8%). Un graphique sur le site de France Trésor montre la correspondance entre déficit et dette en France entre 1978 et 2005. On y constate que le déficit augmente fortement entre 1981 et 1986 (sous les gouvernements socialistes de Pierre Mauroy puis Laurent Fabius.) Il régresse en 1986 (Chirac est premier ministre) puis remonte lentement jusqu’en 1991 (les chefs de gouvernement sont alors, successivement, Michel Rocard puis Edith Cresson). En 1992, forte progression de la dépense (Bérégovoy premier ministre), idem à partir de 1993 (gouvernement Balladur). En 1995, sous la direction d’Alain Juppé puis de Lionel Jospin, la dépense se calme un peu avant de remonter à nouveau de 2002 à 2005 (gouvernement Raffarin). Bref, si les socialistes semblent avoir une prédilection pour l’emprunt, ce n’est pas leur seul apanage.

En effet, le déficit budgétaire financé par l’emprunt, a longtemps été considéré comme un puissant levier économique pour revenir à la prospérité. Cette vision a été largement écornée depuis les travaux de Keynes, mais le problème c’est que pour réduire le déficit, l’Etat doit dépenser moins. Or la majorité de ses dépenses sont des dépenses de salaires (enseignement, police, armée, administration) jugées indispensables par tous les citoyens. Pour des raisons politiques évidentes, les dirigeants n’osent pas prendre le risque de réduire le déficit (il se chiffrait à fin 2006 à 36,16 milliards d’euros, pour un budget général de 266 milliards d’euros).

La seule manière de réduire le déficit, c’est donc de dépenser mieux, d’optimiser les ressources pour arriver à rendre plus de services à la collectivité avec des moyens identiques, ou moins de services avec des moyens plus faibles. C’est bien là que le bât blesse : dans les propositions mirifiques de certains candidats, on trouve beaucoup de moyens de dépenser de l’argent, mais pas beaucoup de moyens d’en économiser. Pourtant, l’état devrait se gérer comme une association à but non lucratif, type ONG, qui se doit d’équilibrer son budget à la fin de l’année.

Car les emprunts d’aujourd’hui sont les impôts de demain, et même si certains investissements de l’Etat profiteront à nos enfants, il n’en va pas de même pour tout. L’Etat doit donc apprendre à diminuer son train de vie en gérant mieux, plus intelligemment, et en appliquant des règles de productivité qui ne sont pas capitalistes, loin s’en faut : dans les kolkhozes soviétiques, tous les camarades partageaient également le labeur pour la richesse commune. Il est clair que les avantage acquis de telle ou telle corporation vont à l’encontre de l’intérêt général, de la même manière qu’augmenter inconsidérément les dépenses publiques serait le plus sûr moyen d’hypothéquer l’avenir.

En 2007, l’Etat devra financer un déficit budgétaire prévisionnel de 42 milliards d’euros et assurer le remboursement de 71,3 milliards d’euros de dette à moyen et long terme venant à échéance. Son besoin de financement est donc de 113,3 milliards d’euros.

Tout nouvelle mesure sociale qui ne serait pas contrebalancée par une économie budgétaire,ou par des recettes nouvelles (par exemple l’impôt) viendra alourdir ce montant.


(1) secrétaire national du PS, chargé des questions économiques

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