19.5.07

Difficiles questions protocolaires

Alain Juppé vient d'être nommé ministre. D'Etat. Cette appelation est avant tout protocolaire et signifie qu'il vient en second après le premier ministre.

Et puis, ça fait tout de même plus joli, avec un petit côté Louis XIV. On imagine le journaliste : "Monsieur le ministre d'Etat, que pensez-vous de telle situation? ". Il n'y a pas à dire, ça fait sérieux.

Mais une question se pose : le protocole prévoit que les anciens premiers ministres passent avant les ministres d'Etat. Or, Alain Juppé est ancien premier ministre. Alain passe-t-il avant Juppé, ou vice-versa ?

Situation amusante. D'autant que Juppé a été Premier Ministre, et avait pour ministre des Technologies de l'information et de la Poste, un certain François Fillon, aujourd'hui premier ministre tandis que lui-même n'est plus que ministre. Ah, oui, d'Etat, tout de même. Néanmoins, on suppose qu'il faut une certaine dose d'humilité pour accepter de travailler pour un ancien subalterne.

D'expérience, c'est une situation difficile à vivre, et qui suppose que l'ancien supérieur soit vraiment un être humain capable de s'affranchir des apparences. Juppé a déjà accepté ce poste, c'est donc qu'il s'y sent prêt.

17.5.07

Que vaut François Fillon ?


Le premier premier ministre de Nicolas Sarkozy n'est pas fabuleusement connu. Il a l'air un peu fatigué et donne l'impression de travailler beaucoup.
Sur son blog, on apprend qu'il aime la course automobile : en juillet 2006, il s'est classé 5ème au "Mans Classic" sur Alpine A220, parcourant 33 tours du circuit mythique. Il cite Jaurès, cela devient une habitude.
Mais François Hollande ne l'aime guère, qui déclare "François Fillon est tout sauf un homme neuf. Il a déjà exercé de multiples responsabilités ministérielles depuis 1993" et "à chaque fois, sa gestion a été émaillée de nombreux conflits et de retraits douloureux, notamment la réforme du bac sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin".
Qu'en est-il ?
En 1981, à 27 ans, il est élu député de la Sarthe. Réélu constamment jusqu'en 2005, date à laquelle il est devenu Sénateur, après avoir été ministre dans les gouvernements de Balladur, de Raffarin, de Juppé.
D'après ce qu'on peut lire ici et là, il est réputé pour son goût du consensus : il aime bien réunir les partenaires sociaux, comme Ségolène, pour discuter avec eux. Mais lorsqu'il faut trancher, il tranche. D'ailleurs, il ne mâche pas toujours ses mots, comme en témoigne ce vif échange en octobre 2003 au Sénat :

M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le sénateur, vous avez raison de dire que cet accord est historique (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.) C'est d'abord un accord qui montre que le dialogue social est une réalité dans notre pays depuis que Jean-Pierre Raffarin dirige le Gouvernement. (Rires sur les travées du groupe socialiste.)

Les ricanements sur les travées de gauche sont particulièrement malvenus quand on fait le bilan des accords qui ont été signés pendant les cinq dernières années ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

On nous promettait une rentrée sociale brûlante. A la place, nous avons un accord historique sur la formation professionnelle, des négociations sur les restructurations...

M. Roland Muzeau. Vous avez oublié le mois de juin !

M. François Fillon, ministre. ... et une discussion qui s'ouvre sur les conditions de modernisation de la démocratie sociale, sujet qui n'a pas été abordé dans notre pays depuis les années soixante !

M. Jacques Mahéas. Et la presse qui ne paraît pas aujourd'hui.

M. François Fillon, ministre. L'accord qui vient d'être signé permet de poser les bases d'un véritable droit individuel à la formation professionnelle.

M. René-Pierre Signé. Il ne crée pas d'emplois !

M. François Fillon, ministre. Vous, vous ne perdez vraiment jamais une occasion de vous taire ! (M. Claude Estier proteste.)

Que peut-on en conclure ? A vrai dire, pas grand-chose.

15.5.07

Droite et gauche, pas le même combat ?



Continuant ma discussion avec ce camarade très au fait des choses politiques et autoproclamé "de gauche", j'en viens à apprécier son argumentation. Si, si. Comme le disait un de mes amis, "ce qui est bien avec toi, c'est que tu n'hésites pas à changer d'avis quand on te présente des arguments valides". Même si je ne suis pas certain que ce soit véritablement un compliment...

Mon camarade, donc, m'indique que le concept de différenciation gauche / droite n'est pas un principe idéologique destiné à cloisonner la vie politique, mais un simple classification.

Il ajoute, et c'est là que sa pensée me paraît intéressante, que "historiquement, les oppositions sur le rôle de l'état ou la liberté des marchés ne sont pas des marqueurs droite / gauche", c'est à dire que ce ne sont pas l'interventionnisme d'un gouvernement ou sa pratique du libéralisme qui permettent de le placer d'un côté ou de l'autre. L'argument sous-jacent - et développé ailleurs dans un échange que je ne citerai pas ici- étant que l'économie de marché est une réalité, mais que le néo-libéralisme sans barrières conduit à un creusement des inégalités. On en conclut qu'il faut une économie de marché, qui soit régulée par l'Etat pour éviter les débordements inévitables dûs à la nature humaine.

Bref. Qu'est-ce qui fait la différence entre la gauche et la droite, alors ?

Mon interlocuteur répond que la différenciation droite / gauche est historiquement liée à l'axe conservateur / progressiste et date du 18ème siècle. Elle se fonde selon lui sur la notion de progrès social, qui est certes imprécise mais fonctionne tout de même assez bien.

Toujours selon lui, le progrés social au 18 ème siècle, c'était la lutte contre les privilèges. Au 19 ème c'était la lutte contre le capitalisme de rente et les inégalités de droit. Au 20è siècle c'était la lutte pour les droits sociaux (retraite, sécu...) et l'égalité des chances. "non que ça ait forcément réussi" ajoute-t-il, lucide. Et de terminer en indiquant "le progrès social au 21è siècle, qu'est-ce que c'est ? A nous de l'inventer."

J'avoue que je ne peux qu'être d'accord. Tout cela me paraît fort bien. Je ne peux d'ailleurs qu'être pour le progrès social.

Ni droite, ni gauche. Nous sommes finalement tous des démocrates sociaux, sans le savoir.

11.5.07

Pensées uniques


Discussion autour du thème droite/gauche avec un camarade qui se définit comme "de gauche".

Moi qui ne me sens d'aucun bord, qui croit à l'économie de marché avec un certaine dose de régulation pour éviter les dérapages, qui recherche le progrès social pas seulement pour les Français, mais pour l'humanité entière, je vois soudain pointer sur moi un index accusateur. On me dit que je suis de droite, que je suis un néo-libéral.

Une bête ignoble.

J'avoue que je suis ennuyé.

Mais mon contradicteur ne s'arrête pas là. Lorsque je lui demande ce que cela signifie, être de gauche, il répond que tous les progrès sociaux, de toutes les époques, ont été des combats de gauche. De la lutte contre l'esclavage au droit de vote des femmes en passant par l'abolition de la peine de mort, tout cela reste l'apanage de la gauche.

Il me semble pourtant que les artisans de l'abolition de l'esclavage étaient avant tout marquis, chevaliers ou prêtres, c'est à dire plutôt des nantis que des ouvriers, plutôt des riches que des défavorisés. Bien sûr, les esclaves eux-même étaient contre l'esclavage, mais ce sont bien des bourgeois, osons le mot, qui ont su se mobiliser pour abolir l'infâmie. Etaient-ils de gauche ? Peut-on être de gauche et porter le titre de marquis ?

Je sais bien, par exemple, qu'il n'est pas nécessaire d'être pauvre et opprimé pour être de gauche. On se souvient de Jean-Baptiste Doumenc, surnommé le milliardaire rouge parce qu'il était communiste et riche, on a glosé durant la campagne sur la fortune personnelle du couple Hollande-Royal. Que l'internationale socialiste, j'en ai parlé ici, considère comme des bourgeois. Et jusqu'à mon contradicteur de gauche, largement plus fortuné que moi.

Mais parce qu'on croit que les mécanismes naturels du marché, encadrés par un état attentif pour éviter les dérapages, sont les seuls à pouvoir fonctionner, parce qu'on pense que le libéralisme bien compris est la seule voie possible d'évolution économique, est-ce que cela fait de vous un néolibéral de droite ? De surcroît, incapable de se mobiliser pour le progrès social, pour les combats cités plus haut ?

Il semble que oui. J'ai donc appris ce jour que j'étais un ignoble capitaliste incapable de m'émouvoir et d'agir pour les autres. Une bien triste journée.

Sauf que ces combats sont les miens autant que celui de la gauche. Je lutte contre le racisme, contre le machisme, contre les abus de pouvoir, mais je ne suis pas de gauche. Je crois en l'économie de marché, mais je ne suis pas nationaliste, capitaliste, et j'ai souvent agi concrètement pour l'opprimé ou les bas salaires. Ce qui m'a valu, dans une entreprise, d'être licencié : je privilégiais trop les travailleurs.

Bref, je ne sais toujours pas ce que cela veut dire, être de gauche. Et pour tout dire, cette distinction entre droite et gauche me paraît impalpable. Je ne vois, autour de moi, quasiment que des bourgeois plus ou moins petits, préoccupés par leur nombril et leur satisfaction matérielle. Lorsqu'ils l'assument, et c'est bien, ils se disent de droite. Lorsqu'ils ne l'assument pas, et je le regrette, ils se disent de gauche.

C'est avant tout une question de confort intellectuel.

9.5.07

Gauche ou droite ?

Un ami concerné par la chose politique m'envoie un mail qui se termine par ces mots :
"
C'est un juste combat de gauche que de vouloir assurer la sécurité matérielle de l'ensemble de l'humanité dans la perspective d'un développement durable. C'est également un juste combat de gauche que d'affirmer qu'une fois la sécurité matérielle assurée, le bonheur de l'homme se situe avant tout dans la richesse de ses échanges sociaux."

Cette phrase m'a fait sursauter (c'est tout de même plus élégant que de bondir). Et attire les commentaires ci-dessous.

Je ne vois pas l'utilité de rajouter "de gauche". Je pense pour ma part que c'est un juste combat pour l'homme tout simplement que de vouloir assurer la sécurité matérielle de l'ensemble de l'humanité dans la perspective d'un développement durable, je pense aussi que c'est un juste combat pour l'homme que d'affirmer qu'une fois la sécurité matérielle assurée, le bonheur de l'homme se situe avant tout dans la richesse de ses échanges sociaux.

Pour être tout à fait sincère, la notion "de droite", aisément assimilée soit à "grand capitalisme prédateur" soit à "conservateur réactionnaire et nationaliste" et la notion de gauche assimilée à "socialiste humaniste" voire à "fainéant assisté" me paraissent toutes deux sans objet, mais elles ont pour conséquence regrettable d'établir des cloisons artificielles entre les hommes.

Je pense qu'il existe une alternative à cette pensée dichotomique ( dont la psychologie nous dit qu'elle consiste à percevoir les situations à partir de catégories mutuellement exclusives sans aucune nuance entre les deux) et que cette alternative consiste, précisément, à évaluer les différentes zones de gris qui existent entre le blanc et le noir, pour se tracer une ligne de conduite mesurée et nuancée.

Les combats cités, que je partage, ne sont pas selon moi l'apanage de la gauche. Le libéralisme n'est pas l'apanage de la droite. D'ailleurs, les radicaux et les socialistes ont longtemps été libéraux. Lisez donc cet article daté de 2002 sur http://www.istravail.com/article89.html , qui donne une lecture ou un rafraîchissement utile. Je vous en livre ci-dessous un extrait, mais à mon humble avis l'ensemble vaut le détour :

"Vérité au delà de 1936, erreur en deçà : jusqu’en 1936, la gauche a été libérale, elle l’a été en matière politique et elle l’a été en matière économique. Les radicaux ont bataillé farouchement pour empêcher les socialistes d’introduire la nationalisation dans le programme du Front populaire et il est vraisemblable que, même sans l’aide des communistes, ils y seraient également parvenus, car ils en faisaient une condition sine qua non du contrat électoral qu’on les invitait de conclure avec la SFIO et le PCF.

Toute la politique sociale de la Troisième République, depuis la loi syndicale de 1884 jusqu’à celles des assurances sociales en 1928-1930, des allocations familiales en 1932 a été l’œuvre de gouvernements et de majorités se réclamant de l’économie libérale, ceux qui ont mis le point final aux lois sur les assurances nationales, étant d’ailleurs des libéraux de droite puisqu’ils avaient pour nom Raymond Poincaré et André Tardieu, Pierre Laval aussi, même si son nom n’est pas aussi démonstratif, puisqu’il avait fait ses premières classes politiques dans le syndicalisme révolutionnaire et qu’il avait même été un temps l’avocat de la CGT. "


Je ne me sens donc pas de gauche, mais je suis concerné par le sort des autres, et pas exclusivement à l'intérieur de nos frontières, raison pour laquelle je me suis heurté la semaine dernière à mon beau-frère "de gauche" qui estimait que les délocalisations sont un scandale et qu'il faudrait réinstaurer le protectionnisme. C'est pour moi une pensée réactionnaire et conservatrice, qui montre surtout une grande méconnaissance des mécanismes économiques mondiaux.

Le même beau-frère en parlant des "patrons" y allait largement en les mettant tous dans un même sac, celui d'EADS qui a touché des millions d'euros en golden parachute, en tête, devant les patrons de PME, tous des ordures de capitalistes bien entendu. Tiens, un chiffre pour la route : saviez-vous que chez Renault, les voitures, 62 % des salariés sont situés à l'étranger ? C'est scandaleux, sauf que l'ancienne régie réalise aussi 66% de son chiffre d'affaires à l'international. Bien sûr, les même généralisations hâtives se retrouvent "à droite" avec tous les assistés et les fainéants qui ne veulent pas travailler. Tout ça, maintenant que j'y pense, c'est la faute à l'euro.

Mais je ne me sens pas de droite non plus. La poursuite du profit, l'enrichissement ad nauseam ne m'inspirent pas grand-chose, si ce n'est de rejoindre Marx et l'internationale socialiste qui les décrivent comme des "idéaux petit-bourgeois". Que de petit-bourgeois autour de nous, et même en nous !